Sushi Yoshinaga, Paris
Ouvert cet été par un chef que nous connaissions déjà mais qui a trouvé une liberté inédite, ce sushiya incarne la nouvelle vague du sushi parisien.
C’était mon troisième repas chez Sushi Yoshinaga. Le premier était en juin, une pré-pré-ouverture. Le lieu était encore complètement en travaux. Le deuxième était fin juillet. Et le troisième…
J’y avais été invitée par l’un des fondateurs, Paul Dupuy, passionné de sushi, qu’il aurait probablement mangé plus que moi (qui en mange depuis plus d’un demi-siècle !) au gré d’une centaine de voyages au Japon avec comme seul objectif la dégustation de sushi.
Paul est également derrière Sushi Shunei, où j’avais été impressionnée par les choix de vaisselle : du Japon parfaitement authentique, que l’on reconnait du premier coup d’œil, sans forcer sur un japonisme exacerbé, tout en étant moderne et dans l’air du temps. Je dirais que c'est un Japon que seul un non-Japonais connaissant bien le pays aurait pu concevoir.
Sushi Yoshinaga
De la même manière que Sushi Shunei tient son nom du chef Shunei Kimura, le restaurant porte le nom de Tomoyuki Yoshinaga, anciennement chez Sushi Okuda. L’établissement est ambitieux. Au rez-de-chaussée, un futur bar à saké, encore en travaux début septembre. À l’étage, une salle sushi au faux air de bulle spatiale, avec un comptoir en U d’une dizaine de couverts, le chef au milieu, comme une scène de kabuki.
Le premier repas était… disons en pré-ouverture. Trop d'assaisonnements, de maturations, une certaine lourdeur et certains poissons manquants.
Le deuxième repas était nettement meilleur. Le chef était confiant - les poissons, le wasabi, le gingembre, tout était bien arrivé.
Et ce troisième repas...
Les mises en bouche
L’ôtoro (thon très gras), légèrement saisi à la flamme, accompagné de daikon râpé dans un tosazu1 au wasabi frais et un brin de kinomé (feuille de sansho). Un léger piquant plein d’umami pour rafraichir le gras du thon.
Le maquereau, légèrement mariné, à la façon traditionnelle au sel puis au vinaigre. Si le maquereau japonais - que l’on mange rarement cru - est toujours preparé ainsi, le temps de marinade diffère selon les goûts de chacun et l’état du poisson. Le chef Yoshinaga le marine brièvement, le laissant presque cru et peu salé, l’accommodant de myoga2, poireau et gingembre frais en fine julienne, avec quelques grains de sésame et une feuille de shiso vert. Tout est parfaitement dosé pour donner du goût et du parfum.
Le poulpe, cuit à une tendreté peut-être un peu adaptée au goût français. Au Japon, nous aimons le poulpe assez ferme, loin du fondant de la cuisine espagnole. Ici, la cuisson est suffisamment tendre pour satisfaire le palais européen, tout en gardant une légère élasticité pour le palais japonais. Avec une pointe de wasabi frais, c’est délicieux.
Le shinjo, une boulette de poisson ou de crustacé, dans une sauce de sauce soja blanche épaissie au kuzu.
La sériole, en yûan-yaki3 et vinaigre d’oignon. Fraicheur et umami.
Autre mer, autre produit
Pendant les mises en bouche, le chef Yoshinaga découpe les poissons. Certains sushiya coupent les tranches des nigiri au fur et à mesure. C’est la façon traditionnelle, puisque le sushi se commandait au gré de l’instant.
Mais aujourd’hui, avec la pénurie de poissons et les menus omakasé, davantage de chefs préfèrent tout détailler d’un coup. En partie pour une question pratique. Puisque tous les clients mangent au même rythme, cela permet de former tous les nigiri de chaque poisson en même temps. En partie par choix, car le chef Yoshinaga aime les laisser respirer.
“Le gras s’épanouit à la température de l'air ambiant. Il ne faut évidemment pas les laisser s’oxyder, mais je pense que quelques minutes de repos permettent aux poissons d’exprimer leur umami.”
Y a-t-il un ordre dans la succession des nigiri ? Oui, et non. Il fut un temps où l’on commençait toujours par les poissons blancs, pour continuer sur les trois thons (akami, chu-toro, toro), la seiche, les poissons bleus, les crustacés et les mollusques. Et finir avec les sucrés, c’est-à-dire l’anguille et l’œuf.
Mais en France, l'ordre varie, car il n'y a finalement pas beaucoup de poissons adaptés au sushi. C'est comme les humains, les poissons sont aussi distincts d'une mer à une autre... L’exemple le plus parlant est le maquereau. Celui du Pacifique a un corps cylindrique, du gras et une peau mouchetée. Celui de l’Atlantique est svelte, fin avec peu de gras et une peau rayée. Ce sont deux poissons visuellement et gustativement très différents. Il en va de même pour le thon, la sardine, le chinchard, la crevette… Et l'anguille du sushiya japonais qui est en réalité un type de congre !
Les sushiya en France s’accordent sur un point : le poisson français est très bon, en mer. Mais il est maltraité une fois hors de l'eau. Son umami ne se développe pas (je vous parlerai plus tard de l’ikéjimé). Les sushiya doivent rivaliser d’ingéniosité pour lui donner du goût… Si certains poissons sont disponibles toute l’année, leur saveur et surtout leur gras varient selon la saison et la période de ponte.
Les nigiri
Le chef annonce le passage aux choses sérieuses en servant le gari, le gingembre mariné du sushiya. Oh ! Joie ! Aujourd'hui il y aussi du gari de gingembre nouveau… Un délice exceptionnel que l’on attend toute l'année au Japon, à l'instar des asperges en France. Il est servi non pas en tranches fines mais en cubes, pour souligner son croquant juteux, sa fine sucrosité naturelle et son acidité douce légèrement piquante.
Calamar, au sel et citron jaune pour mettre en valeur sa sucrosité. Une entrée en matière toute en délicatesse. La chair est travaillée pour être très fondante, et se marie joliment avec le riz dont on sent chaque grain en bouche, enveloppé de cette matière délicieusement collante.
Bar avec sa mini-noisette d’uméboshi d’irizaké. L’irizaké est un condiment japonais millénaire (supplanté par la sauce soja au Moyen Âge), à base de saké et d’uméboshi, réduit et filtré. La noisette d’uméboshi de l’irizaké apporte une acidité doucement salée et complexe, ni vinaigre, ni agrume.
“On jette toujours l’uméboshi de l’irizaké après l’avoir filtré, n’est-ce pas ? Mais c'est du gaspillage ! J’ai récupéré la pulpe et l'ai mélangé avec un peu de mirin.”
Daurade royale, salée pendant une heure puis maturée trois jours, avec du nikiri4 appliqué au pinceau. Le croquant de la peau sur le fondant de la chair fine et molle est incomparable.
Sériole, en zuké de sauce soja blanche, poudre de yuzu. Le zuké est une marinade de sauce soja, généralement courte, parfois un simple aller-retour.
Rouget, saisi à la flamme sur la peau, nikiri au pinceau.
Homard, mariné dans du miso blanc et du miso “de campagne” pendant quatre jours. Presque crémeux, à l'umami très puissant.
Thon rouge, maturé deux semaines, en zuké dans de la sauce soja à l’ail et ciboule, noisette d’oignon râpé.
Thon mi-gras, maturé deux semaines.
Thon gras, également maturé, noisette de condiment de sauce soja, kôji de riz et piment vert, fermenté deux mois puis mixé.
Bôzushi de maquereau. Littéralement “sushi bâton” par sa forme, autrefois jamais servi chez le sushiya, mais très à la mode depuis peu. Avec shiso, sésame, ciboule… servi de main à main dans une feuille d’algue nori.
Thon au caviar. Le thon très gras (ôtoro) est travaillé presque en pommade, coiffé d'un petit monticule de caviar.
Anguille, cuisson vapeur et flamme, terriblement fondante et douce, avec quelques grains de sel.
Temaki ou rouleau à la main de thon gras en namérô. Le namérô est une sorte de tartare finement travaillé au couteau pour être collant, mélangé à des aromates comme le gingembre frais, la ciboule, le shiso.
Pour clore, une soupe miso aux palourdes dans les règles de l’art. Rassurante, confortable, bonne comme tout.
En dessert, une “déclinaison de concentrations de matcha”, une exclusivité Glace Alain Ducasse. Il s’agit de trois glaces au matcha à trois concentrations différentes. L’idée est excellente dans sa simplicité - un dessert à la fin du sushi semble toujours lourd - tout en étant ludique et instructive. La glace la plus concentrée retient la texture farineuse du matcha, qui la rend presque mais pas tout à fait amère, sucrée juste ce qu’il faut. Un régal.
Un sushi exclusivement parisien
Alors donc, ce troisième repas ? Toujours beaucoup d’assaisonnements et de maturations, plus qu’un sushi “normal” japonais. Chaque bouchée est cuisinée, de façon souvent complexe, bien que rarement au feu. Dans ce sens, ce sushi est “français”, par l’addition de saveurs robustes, à l'opposé de la soustraction du superflu pour ne laisser qu’une essence délicate, à la japonaise. Mais il est exécuté d’une main de maître, avec doigté et une réelle connaissance des produits français de terre et de mer. Ce n’est pas un sushi “fusion” car il est parfaitement japonais, mais on ne le trouvera jamais au Japon.
“Je voudrais faire venir le monde à Paris, pour manger des sushi qui n’existeront nulle part ailleurs” dit le chef.