Sushi Shunei - renaissance
L'un des sushi les plus "purs" de la capitale se trouve dans un coin incongru de Montmartre. Depuis avril, Sushi Shunei a un nouveau chef - que les Parisiens connaissent bien.
Shunei Kimura, chef de Sushi Shunei, est décédé en juin 2022. Trois mois auparavant, il avait obtenu l'étoile Michelin. Lui qui en avait tant rêvé pendant ses quarante années vécues à Paris. Il mourut heureux, auréolé de cette consécration et son appartenance au petit groupe des sushiya étoilés français. Il avait tout prévu. Son épouse Chizuko reprendrait le flambeau et continuerait à faire vivre la maison.
Chizuko Kimura retroussa ses manches et, tout en faisant vivre le restaurant, fit preuve de patience et de persuasion pour faire revenir un sushiya que les amateurs parisiens connaissent bien. "J'ai mis six mois à le convaincre de revenir" dit-elle avec un sourire espiègle. Et voilà arrivé en avril 2023, Takeshi Morooka, sushi-shokunin ou artisan de sushi.
Takeshi Morooka
Takeshi Morooka fut jadis chef de Sushi Onodera, rue du Louvre. On l'aimait beaucoup, pour son sourire timide, sa modestie, son air de Golgo 13 version gentil (pour les amateurs de shonen manga), son « dos bas » (signe japonais d’humilité) et sa dextérité à la découpe. Car le sushi, qui se déguste obligatoirement au comptoir, est d'abord un spectacle. Qui n'a rien de spectaculaire. Le minimalisme qui est de guise dans la culture japonaise doit être présent ici aussi. Le sushi n'est pas une démonstration, ni un jeu d'acteur. Il est un spectacle ... Pouvons-nous dire "naturel"?
Chef Morooka a quelques années de plus mais n’a pas changé. La même réserve, les mêmes gestes précis. Le mouvement du sushi se compte en fractions de secondes et en nanomètre: rien ne doit être en trop. Le voir manier le couteau est un plaisir des yeux dont le minimalisme se confirme en bouche par une pureté limpide de saveurs.
Les produits étaient déjà irréprochables à l’époque de Shunei. Ils le sont davantage encore sous la surveillance du chef Morooka et de Mme Kimura. Le thon rouge est bien rouge; le thon gras l'est tout autant. La daurade est sublime. Le bar est meilleur qu'au Japon. Les œufs de saumon sont parfaitement marinés avec un léger parfum de saké. Et chaque nigiri est pressé dans la paume de la main, sous l'index et le majeur de l'autre main, avec une feinte légèreté qui s'avère en réalité ferme et décisive.
Un comptoir de 9 places
Le lieu est exigu. 9 couverts à un comptoir en biais, pour mettre à profit le moindre mètre carré. Original. Pourquoi pas? Si l’on y est bien. Les places sont étroites mais confortables, et fait rare à Paris, chaque objet sur lequel l’œil se pose est éminemment normal. Parfaitement japonais sans forcing. Ni trop moderne ni trop classique. Ni design ni ringard. Mais de bonne qualité. Ce qui rend la dégustation, que ce soit du sushi, du thé ou du saké, naturellement gourmande.
Ici, le menu reste classique. Quelques tsumami, fidèles à une tradition de sushi qui se perd aujourd’hui dans les sushiya de luxe au Japon. Le tsumami, littéralement "ce qui se picore" est un tout petit plat, plutôt apéro qu'amuse-bouche. Autrefois limité à un, aujourd'hui il est d'usage d'en servir trois ou quatre.
Comme dans le menu de ce soir. Deux cubes de thon cuits « à l’étouffée » à défaut d’un terme exact en français. Sauce soja, saké, mirin, peut-être un peu de dashi. Deux tranches de poulpe cuites au dashi, légèrement assaisonnées, elles aussi. Deux tranches de toro et de barbue en sashimi, à tremper dans la sauce soja ou dans un saké flambé salé. Quelques morceaux de homard en gelée de tosazu et une noisette de caviar pour l'umami. Tout reste très simple - et cela suffit amplement – ou plutôt, on n’en veut pas plus ! Car trop, est vraiment trop, au comptoir de sushi. Restons simples. Épure, toujours.
S'il y a un défaut dans les sushis de Shunei aujourd'hui, je dirais qu'ils pêchent par excès de goût. Chef Morooka avait déjà cette habitude d'abuser un peu du zuké, à l'époque d'Onodera. Chez Shunei, il semble continuer dans cette voie. "Pourquoi mettez-vous beaucoup de poissons en zuké ?" lui ai-je demandé. "Parce que le poisson ici manque d'umami". Peut-être. Mais je pense que cette cuisine du chef évoluera avec le temps et une plus grande liberté dans le choix des produits. Onodera appartenait à un groupe, un Sodexo japonais en quelque sorte. Alors que les fondateurs de Shunei sont des passionnés, corps et âmes perdus dans le sushi...
Un juste rapport qualité prix
Le sushi de luxe aujourd'hui au Japon atteint des prix inimaginables. En partie poussés par la rareté du poisson. En partie, aussi, par l'affluence des clients étrangers notamment d'Asie. Les prix des sushiya haut-de-gamme parisiens semblent suivre cette tendance pourtant tokyoïte, et explosent le plafond.
Dans ce contexte, Sushi Shunei offre les menus les plus justes de la capitale. De 140€ et 230€, ce n'est certes pas donné. Mais quand je pense être servie chaque bouchée (car un nigiri n'est qu'une bouchée, cela ne se croque pas) directement de la main d'un professionnel qui a voué toute sa vie à son art, avec des produits dont les prix sont élevés tout en générant beaucoup de pertes, cela me semble justifié.