C'est Comme À La Maison
J'ai la chance d'habiter un quartier central, animé et très vivant, proche de tout. On y trouve une incroyable multitude de restaurants de tous horizons et saveurs. Si beaucoup sont bobo et tendance, ils sont généralement moins mauvais qu'ils n'y para
J'ai la chance d'habiter un quartier central, animé et très vivant, proche de tout. On y trouve une incroyable multitude de restaurants de tous horizons et saveurs. Si beaucoup sont bobo et tendance, ils sont généralement moins mauvais qu'ils n'y paraissent. J'ai toutefois une préférence pour les lieux ni modeux, ni bistro, ni gastro, ni étoilé ni rien du tout, qui servent une cuisine honnête et de bonne facture. Voici le deuxième de mes spots de cœur.
Dans un coin pourri
Du pauvre Paris
Sur une place
L’est un vieux bistro
Tenu par un gros
Dégueulasse…Le bistrot, George Brassens.
Cette chanson plutôt méconnue de Georges Brassens m'est venue à l'esprit quand je suis arrivée devant C’est Comme À La Maison. Peut-être était-ce le temps ce soir-là, vaguement pluvieux, les trottoirs gras et luisants, si parisiens. Ou la rue, étroite, sinueuse et sombre dans ce coin du Marais pas chic, avec un tailleur au coin et un bar à spectacles en face. Le lieu n'est pas vraiment un bistrot et répond à l'acronyme CCALM. J’ai cru d’abord que c’était un organisme d’hygiène alimentaire ou de placement d'apprentis, assorti comme il est d’un logo bleu représentant une casserole stylisée.
One man show
Mais en poussant la porte, on se trouve dans une toute petite salle presque carrée, avec un seul joli mur plein d'assiettes bleues et des lumières qui scintillent comme des étoiles. Derrière un bar – plutôt un comptoir de cuisine comme à la maison –le chef s'affaire à la cuisine. Il s'appelle Mathieu Ciarlet, et n'a rien d'un « gros dégueulasse ». Il n’y pas non plus de « belle du bistrot » puisqu'il assure à lui seul la cuisine, la salle, la plonge, le management, la comm... Vous l'aurez compris, il est seul, voilà. Un One Man Show par excellence sauf pour le midi où un étudiant fait le service avec un doux sourire rêveur.
Mais si vous avez connu Paris dans les années 1970, vous y trouverez cet air familier que Brassens décrit avec son ironie incisive. Celui de ces petits restaurants de quartier sans prétention, qui servaient une cuisine honnête et simple aux petites gens. Madame en cuisine, préparant le plat du jour dans une minuscule cuisine au fond de la salle. Monsieur au comptoir, un torchon à l’épaule, servant les ballons de vin au zinc dès le matin et les tables à midi. Vous en trouvez aussi dans pratiquement tous les romans de Georges Simenon. Il ne manque plus que le casier à serviettes pour les habitués et on y verrait le commissaire Maigret, serviette au cou, sombre et lourd devant un bon plat fumant et un petit blanc.
Heureusement que la capitale de la gastronomie en 2023 n’est pas habitée uniquement de cafés bobo et de restaurants bling-bling. Et qu'il existe toujours et encore, ces irréductibles bistrots qui ne pensent qu'à servir une bonne cuisine honnête. Peu décorés, sobres et abordables, ce sont les restaurants de quartier où l'on vient manger, un point c'est tout.
A dream come true
C’est Comme À La Maison répond à un besoin. Celui d’un homme qui, arrivé à la cinquantaine, s’est converti à la réalisation de son rêve. Je n’ai pas encore très bien compris si le rêve était d’avoir un restaurant ou de faire à manger pour des gens. Les deux, sans doute. Toujours est-il que Mathieu a abandonné une respectable carrière d’ingénieur pour celle, beaucoup plus risquée, de chef-patron-commis d’un établissement de 15 couverts au cœur de Paris.
Sa cuisine n’est certes pas la meilleure de Paname. Mais, comme le personnage lui-même, elle est pleine de rebondissements. D’abord elle est entièrement faite maison, sauf pour les escargots de Bourgogne, le fumage des harengs et les saucisses. Ensuite, elle est totalement dépourvue de sel ajouté.
Une terrine sans sel
Ainsi, la première dégustation de la terrine du chef s'avère un brin étonnante. Ma première réaction a été de dire « ça a un goût bizarre, sans sel ». Le chef met un pot de sel sur la table, pour en ajouter à l’envie car il sait que le parti pris est peu commun. Mais l'ajout de sel au plat fini ne remplace pas vraiment un assaisonnement en cours de cuisson. Et une terrine sans sel… avec du foie, du porc, du gras ? Très curieux. L'on se rend compte à quel point l'on n'est pas habitué. Mais aussi, que tout est toujours très salé dans la vraie vie.
J'ai eu l'impression de sentir d'une façon très directe les saveurs du foie et du gras, et de les découvrir, comme si je ne les connaissais pas. Car d'habitude le sel arrondit le côté « sang » du foie, et celui, très animal, du gras de porc, les rendant moins distinctes et plus flatteuses. Mais j’ai constaté avec étonnement que mon palais s’y est vite habitué. À ma deuxième visite, cette même terrine m’a parue excellente, revêtant une certaine délicatesse de goût et une légèreté au palais. Curieux, comme l’humain s’adapte...
« Pourquoi sans sel ? J’aurais pensé que ce serait rédhibitoire, commercialement parlant, demandai-je au chef.
- Mon père souffrait d’hypertension et nous avons toujours mangé sans sel à la maison. J’y suis habitué. Et je trouve que ce n’est pas plus mal de retrouver le goût des aliments sans sel ajouté car il y a déjà du sel, naturellement dans les aliments. Personne ne s’en est plaint, pour l’instant » m’a-t-il répondu avec un sourire taquin qui a creusé des fossettes inattendues dans ses joues grisonnantes.
Il est vrai que dans le rougail, la saucisse de Morteau est suffisamment salée pour tout le plat. Et les épices sont amplement présentes (mais pas trop piquantes) pour assaisonner le chili con carne. L'absence de sel souligne la fraicheur, la simplicité, la droiture et la gourmandise, rendant chaque bouchée parfaitement digeste, justement parfumée, adroitement finie. Sans luxe ni fioriture ni raccourci… C'est Comme À La Maison !
Il règne ici, dans l'air, dans l'assiette, un air très reposant. Comfort food ? Peut-être…
À ce jour, j’y ai mangé trois fois. Mais j'ai envie d'y retourner tous les jours. Car la cuisine est chaleureuse, jamais ennuyeuse, éminemment saine. Et le menu, à l'ancienne, change tous les jours. C'est probablement en le voyant que « Le Bistrot » de Brassens s’est joué dans ma tête. Car il y a ici un semainier. Vous souvenez-vous (si vous avez plus de cinquante ans), de ce menu avec un plat différent selon le jour de la semaine, qu’il y avait autrefois dans les bistrots ? À cela près que nous sommes en 2023 et que le semainier de CCALM est un peu plus cosmopolite, XXIe siècle oblige. Lundi, bœuf bourguignon. Mardi, boudin aux pommes. Mercredi, jour végé, dahl de lentilles corail. Jeudi, chili con carne. Vendredi, jour du poisson, bouillon thaïlandais de poisson.
Parallèlement au semainier, il y a le plat de la semaine, servi tous les jours. Lors de mon passage, ce fut un gombo de Louisiane.
C’est que le monsieur a voyagé dans sa vie antérieure. Et il déborde toujours de curiosité pour toutes les cultures et cuisines du monde. Alors dans son restaurant, on rencontre autant les classiques de la cuisine familiale française que l’exotisme d’un plat thaïlandais, mexicain, vietnamien, américain… La carte des vins est parfaitement en accord avec la cuisine. Des vins abordables et agréables, au verre, à la carafe ou à la bouteille, avec quelques références plus huppées.
Des clients sympas
Quant à la clientèle… ne viennent ici que des clients sympas. Aucun râleur, quelques touristes, essentiellement une clientèle d’enseignants, d’intellectuels et d’artistes d’un certain âge. Tout le monde semble perpétuellement heureux d’être là. Personne n’est très bien habillé, et tout le monde aime discuter chaudement. L’ambiance est très french avec cette bonhomie caractéristique du Français quand il est content. Est-ce tout simplement le reflet du bonheur du patron, heureux d’être là, heureux de cuisiner, heureux de vivre sa passion en recevant du monde et de le servir en toute simplicité, comme si tout le monde était un habitué de la maison ? À l’image du bistrot populaire d’une époque révolue version 2023, avec un chef pétillant d’un bonheur trouvé tardivement mais sûrement dans la vie, ce petit restaurant incongru et si parisien est mon spot de cœur où il fait bon passer un soir, un midi, pour sourire et bien manger en toute simplicité et bonté.
Menu déjeuner Entrée Plat ou Plat Dessert 19€
Entrée, plat et dessert 25€
Diner à la carte
Le site web est tenu à jour, on y trouve le semainier et le plat de la semaine.
Samedi possible sur réservation.