Ramen à Paris 1ère partie
Qu'est-ce que le ramen? Comment sait-on si un ramen est bon? Quelles sont les grandes tendances du ramen?
Il y a quelque temps, j’avais décidé de faire un tour des ramen à Paris. Ce plat dont la popularité au Japon a explosé dans les années 1970, pour supplanter les nouilles plus traditionnelles comme le soba et l’udon, ne m’est finalement pas très familier. Ma mère, par exemple, n’en mangeait jamais. Ce n’était pas vraiment dans sa culture. Mais sa popularité en France m’intriguait, surtout quand on me disait “ j’adore les nouilles japonaises, vous savez ? Les ramènes ! ” et je trouvais cela vexant pour les soba et les udon… qui sont, eux, vraiment japonais.
Car le ramen est clairement d’origine chinoise. Le mot ramen, qui se prononce “laamèn”, est la japonisation du chinois lamian. Aujourd’hui encore, quand nous parlons de ramen, nous utilisons parfois le terme "chûka soba” qui signifie “soba chinois”. Au Japon, la consommation de viande était interdite pendant douze siècles, jusqu’en 1886. Et ce n’est qu’avec l’essor économique du Japon dans les années 1960-1970 que le porc et le poulet sont devenus accessibles, le bœuf restant encore aujourd’hui un produit de luxe. Ainsi, il n’y a aucune cuisine réellement traditionnelle - si par tradition on entend une certaine ancienneté historique - qui comporte de la viande. Alors le ramen, avec son bouillon à base de porc ou de poulet, est forcément un plat importé. En l’occurrence, de Chine.
Il faut toutefois admettre que le ramen tel qu’on l’imagine aujourd’hui est un plat vraiment japonais, au même titre que le curry rice (originaire d’Inde via l’Angleterre), et, en remontant plus loin, le tempura (du Portugal). Mais ce que l’on ignore souvent, c’est que le ramen au Japon se conjugue en une grande variété selon les régions - et donc de terroirs et de traditions.
Qu’est-ce qu’un ramen?
Un bol de ramen est composé de cinq éléments.
D’abord, le kaéshi. La base concentrée.
Ensuite, le kômi-abura ou kômi-yu. L’huile parfumée.
Puis, la soûpu (soupe) ou dashi. Le bouillon.
Enfin, le men. Les nouilles. Plus ou moins fines ou grosses, blanches ou d’un jaune pâle, parfois plus soutenu. Elles peuvent être raides (comme des spaghettis) ou légèrement ondulés. Les nouilles instantanées sont carrément frisées car frites.
Pour clore, les gu ou toppings. Ils ne sont pas obligatoires, il existe des ramen sans topping. Voici les toppings les plus plébiscités.
- Châ-shû. La version japonaise du char siu, du porc gras mijoté dans un assaisonnement sucré salé. D’après un sondage réalisé par une des nombreuses associations japonaises de ramen, 64% des ramen en sont coiffés.
- Aji-tama. L’œuf mollet assaisonné. Il serait présent sur 44% des ramen.
- Négi ou kizami-négi. Le poireau émincé (le poireau japonais est plus fin que le français, ressemblant plus à la ciboule). Il est parsemé sur 40% des ramen.
- Menma, pousses de bambou assaisonnées.
- Nori, feuilles d’algue nori.Mais aussi, des fruits de mer, des pousses de soja, du kimchi, du poulet effiloché, des épinards, du naruto en tranches… Tout est possible. Les toppings sont souvent au choix.
Un bol de ramen est réalisé à la minute, en quelques secondes, car s’il y a bien quelque chose qui n’attend pas, ce sont les nouilles ! Le service doit être tout aussi immédiat, ainsi que la dégustation.
Une dégustation particulièrement asiatique
La soupe de nouilles est un type de plat que l’on trouve partout en Asie, qui est très aimé de tous les Asiatiques. Quand un Français rentre de vacances à l’étranger, il se jettera avec joie sur une baguette et du beurre ou du fromage. Quant à l’Asiatique, ce sera un bol de nouilles dans une soupe chaude, quelle que soit la température ambiante. La soupe chaude en Asie n’est pas réservée à l’hiver, mais se déguste en toute saison. En hiver, pour se réchauffer. En été, pour transpirer et refroidir le corps.
On commence par goûter la “vie du ramen”, c’est-à-dire sa soupe. Une cuillerée du liquide chaud brûlant, aspirée plus que bue. Puis on attaque immédiatement les nouilles, car elles continuent de cuire dans la chaleur résiduelle du bouillon. Deux, trois coups de baguettes pour les démêler un peu avant d’en pincer 4 ou 5 et de tirer dessus, la cuillère dans l’autre main pour servir de support, d’équilibre, et pour alterner entre nouilles et soupe.
Les nouilles ne se mâchent pas. Un ou deux mouvements de mastication et on avale le reste ! Inutile de vous préciser que faire du bruit est tout à fait acceptable, et même recommandé, car il est impossible de manger convenablement des nouilles dans une soupe très chaude sans les aspirer. Le bruit “zu-zu-” que l’on fait (tellement résonnant qu’il surprend toujours les Occidentaux…) est dû à l’air aspiré en même temps que les nouilles et la soupe, et permet de les refroidir un peu.
Le bol entier de ramen doit être fini, dégusté, apprécié, en 5 à 10 minutes maximum. Cela paraît court pour un repas, mais ce temps suffit pour transformer des nouilles parfaitement cuites en une bouillie de pâtes molles baignant dans du gras qui commence à figer. À éviter à tout prix.
Le bouillon du ramen
Il y a deux types de bouillon. Le paitan et le chintan (vous remarquerez que tous les mots du ramen sont chinois…).
Le paitan, qui signifie “eau chaude blanche” est le bouillon blanc et trouble. Sa blancheur et son aspect trouble sont dus à la cuisson longue des os et articulations de porc, notamment du jarret et du genou qui sont généralement cassés pour encourager l’extraction des moelles et des cartilages. Il peut également être fait de carcasses de poulet : sa texture et ses saveurs sont alors plus fines. Le paitan est très riche en collagène, d’où sa texture : si vos lèvres collent un peu quand vous finissez votre bol de ramen, c’est que vous venez de manger un bon paitan !
Le ramen tonkotsu ou “os de porc” est l’exemple mondialement connu de paitan.
Le chintan, qui signifie “eau chaude claire”, est un bouillon limpide. La cuisson à frémissement étant moins longue que pour le paitan, les os de porc ou de poulet restent entiers, la moelle n’est pas extraite dans le liquide qui reste limpide. Le chintan peut aussi être fait avec un dashi classique japonais : kombu, bonite, shiitaké séchés.
Mais vous avez sans doute constaté qu’il n’y a qu’un bouillon dans les restaurants de ramen… Alors, qu’est-ce qui fait la différence entre le shio ramen, le shoyu-ramen, le miso-ramen, le tonkotsu-ramen… tout ce qui est énuméré dans la carte ?
Le goût du ramen est déterminé par le kaéshi et le kômi-abura.
Le kaéshi
Le kaéshi est une base de soupe et détermine le goût de la soupe du ramen. Si c’est un shôyu-ramen, un ramen à la sauce soja, le kaéshi sera fait de sauce soja, ail, gingembre, saké, peut-être aussi du shiitaké séché, du poireau… Le mélange est réduit et sa recette dépendra de chacun.
Pour un shio-ramen, un ramen au sel, le kaéshi sera fait de kombu, katsuobushi (bonite séchée fumée), saké, mirin, sauce soja. On dit qu’il est le kaéshi le plus difficile, car il doit être goûteux tout en restant simple.
Pour un miso-ramen, ramen au miso, le kaéshi sera fait de miso, saké, sauce soja, et parfois aussi de piment et huile de piment. Le kaéshi de miso étant très prononcé en goût, on le marie généralement avec un bouillon léger.
Le kômi-abura
Le kômi-abura, littéralement “huile de parfum savoureux” est un apport gras qui apportera sa sapidité à la soupe. C’est le gras que l'on voit flotter sur la surface de la soupe du ramen, plus ou moins présent.
Il peut être fait à partir de la chair très grasse du dos du porc pour donner un résultat riche et épais. Il peut également être obtenu par la cuisson du porc pour en extraire uniquement le gras. Le même procédé s'applique avec du poulet. Le kômi-abura est la clé de la réussite du ramen, la source de sa saveur unique. Ainsi, chaque cuisinier aura sa recette, toujours un peu secrète.
Les appellations
Le nom du ramen est déterminé par son bouillon et son kaéshi.
Tonkotsu ramen = ramen de bouillon d’os de porc.
Shoyu ramen = ramen au kaéshi de sauce soja.
Tonkotsu shio ramen = ramen de bouillon d’os de porc et kaéshi de sel.
Niboshi shio ramen = ramen de bouillon de petits poissons séchés niboshi et kaéshi de sel.
* Le mot kaéshi appartient au vocabulaire du soba et désigne le concentré qui sera dilué avec du bouillon. Pour le ramen, on l’appelle aussi taré, qui signifie “sauce” en japonais.
Le ramen dans le monde
La popularité du ramen au Japon a été largement encouragée par l’invention des nouilles instantanées dans les années 1970 et l’omniprésence du ramen dans la société japonaise est un phénomène relativement récent. Mais en quelques décennies, ce plat qui fut l’apanage des salary-men stressés, dont la pause déjeuner se résumait à 15 minutes entre deux clients, est devenu un plat non seulement populaire mais mondial. Je pense que le Michelin y a contribué, en attribuant des bib gourmands et parfois même des étoiles à des échoppes de ramen. Le phénomène créa des queues interminables devant de modestes cantines autrefois réservées à quelques habitués.
Le Japon est un pays de modes – fulgurantes et éphémères. Le tonkotsu ramen de Hakata (ancien nom de Fukuoka, la capitale de l’île de Kyushu), un paitan aux os de porc, épais, laiteux, très concentré en saveurs, connut son heure de gloire il y a une dizaine d’années. Aujourd’hui, il fait presque figure d’unique ramen japonais dans le monde, malgré qu’il soit passé de mode dans l’archipel où l’on attend “la nouvelle nouille”.
En réalité, tout phénomène de mode mis à part, il existe une multitude de ramen au Japon. Selon le terroir et les habitudes alimentaires du coin. La soupe est faite de porc, de poulet, de poissons, de coquillages et crustacés, souvent mélangés. Le paitan est relativement rare. Le chintan est largement majoritaire : certains, surtout dans le nord du Japon, sont à base de poisson séché et parfaitement clairs, sans gras.
Mes goûts personnels
Je n’avais jamais vraiment aimé le ramen que je trouvais toujours baclé, salé et insipide, avec du gras de mauvaise qualité plutôt indigeste. Mais quand je suis allée voir ma tante qui habite à Fukuoka, elle m’a emmené dans une cantine infâme, un trou dans le mur, fréquenté par des chauffeurs de taxi et des flics. Tout le monde y venait seul et mangeait à des tables partagées, ne disant ni bonjour ni s'il vous plaît ni au revoir, en marmonnant simplement la commande “ramen, oomori (ramen, supplément nouilles)”. Je ne sais même pas s’il y avait plusieurs offres à la carte où s’il n’y avait que le seul et unique tonkotsu ramen.
Les bols étaient assez petits et je crois qu’ils coûtaient 300 yen (au taux d’aujourd’hui, 1.80€). Certains clients en mangeaient deux.
C’était il y a plus de vingt ans, mais ce petit bol de ramen reste le meilleur de ma vie. À la première cuillerée, le bouillon était infiniment savoureux. Il était plutôt fin, un chintan et non un paitan. Il n’y avait aucun topping, juste quelques miettes de porc haché. Mais quelle soupe ! On appréciait pleinement le goût très profond du bouillon, savoureux comme un très bon consommé de bœuf, que l'on avait l'impression de ressentir jusqu'au fond du ventre. Les nouilles étaient fines, blanches, raides et parfaitement al dente, presque élastiques, qui ramollissaient un tout petit peu, le temps de finir le bol. D’où, je pense, la taille de ces bols, pensée, réfléchie.
La deuxième experience ramen qui me reste en mémoire a eu lieu il y a une dizaine d'années. J’étais chez mon cousin, dans la préfecture de Chiba, à côté de Tokyo. Il nous a emmenés dans une cantine devant la gare. Une gare de trains de banlieue, comme il y en a des milliers au Japon. La cantine était de celles, bon marché, rapides et pratiques, où l’on achète un ticket à un distributeur, pour le donner à l'unique serveuse en s’asseyant à la première table libre. J'avais pris un ticket pour un ramen de 1000 yen (6€), le plus cher.
La région de Chiba est connue pour ses saveurs rustiques, salées, sucrées, trop fortes en goût pour les bourgeois de Tokyo et les aristocrates de Kyoto.
Le ramen de cette échoppe était incroyablement épais. Le bouillon ressemblait à une soupe de courge ou un potage rustique de légumes qui aurait un peu réduit sur le feu. Sauf qu’il ne contenait probablement que très peu de végétaux, étant une bouillie de porc, de poissons, de coquillages, de crustacés, cuits jusqu’à devenir une purée épaisse. Comme si on avait balancé toutes les chutes de toutes les protéines à portée de main dans une marmite, pour les cuire à l’oubli. Je pense qu'il y avait aussi du miso et du piment.
Il était extrêmement salé par la réduction, gras à faire peur, mais tout aussi savoureux avec un umami explosif de tous ces produits intimement mélangés. On dit parfois qu’un plat “est tellement salé que ça pique la langue”. C’était le cas. Mais c’était aussi parfaitement inoubliable.
J’ai pour habitude d’accompagner mon ramen de gyoza. Le ramen est un plat de de restaurant dit “chinois” ou chûka (par opposition à chûgoku ryori-ten qui est le restaurant de vraie cuisine chinoise) dont les classiques sont le ramen décliné en plusieurs saveurs, le riz sauté et le gyoza. Les étudiants et les jeunes salarymen ont toujours été les premiers clients des chûka. Recherchant la quantité plutôt que la qualité, ils commandent souvent un ramen et un riz sauté. Et parfois même un gyoza en plus.
Je n'ai jamais pu manger un ramen avec un riz sauté, mais pour moi, le gyoza est au ramen ce que le fromage est à la baguette pour un Français. Les deux sont dissociables et se complètent. Malheureusement, le gyoza semble encore plus difficile à réaliser en France que le ramen…
(à suivre, mon classement des ramen parisiens avec et sans gyoza !).