Le Mazenay
Depuis la tendance de la bistronomie tatouée végé, suivie de près par la mode du zinc rétro, on avait l'impression pendant un temps que le resto de quartier ni bistro ni gastro ni étoilé ni rien du tout, était en voie de disparition. Alors qu'en r
Depuis la tendance de la bistronomie tatouée végé, suivie de près par la mode du zinc rétro, on avait l'impression pendant un temps que le resto de quartier ni bistro ni gastro ni étoilé ni rien du tout, était en voie de disparition. Alors qu'en réalité, il se porte plutôt bien. Servant une cuisine honnête et de bonne facture, par les temps qui courent ce sont des adresses précieuses. Voici le premier de mes spots de cœur.
Le Mazenay, sa pomme dauphine et son millefeuille de légende.
Le chef Denis Groison et son épouse Lan ont ouvert ce petit restaurant en 2015 dans une des plus anciennes rues de Paris. Le lieu est assis dans un espèce de recoin triangulaire de rue – qui n'est pas réellement triangulaire mais en donne l'impression par sa forme biscornue sans aucun angle droit.
Avec 45 couverts lorsqu'elle est pleine à craquer, la salle n'est pas vraiment sexy. On ne vient pas ici pour un premier RDV Meetic ni même le deuxième, mais en vieux couple ou avec des amis auxquels on tient – et qui aiment manger, surtout. Car lorsque l'on tend l'oreille pour espionner sur ses voisins tous vêtus confortablement en soirée détendue, on entend « Le Cinq » « Astrance » « l'Ambroisie »... Aucune influenceuse TikTok en ongles carmin mais pléthore de très bons vivants d'âge moyen, habitués des adresses gastronomiques, qui n'en ont que faire de leur apparence et dont il semble que cette adresse soit le refuge secret.
Un magicien de la pâte
C'est que l'on vient de loin finalement à ce restaurant discret dont les pommes dauphine et le millefeuille sont devenus légendaires. Denis Groison est bourguignon. Fils et petit-fils de pâtissiers, il est tombé dans la pâte étant petit et a appris à la cuire dans le four de son grand-père. C'est sans doute la raison pour laquelle il dit, d'un air perplexe « Je n'ai jamais compris pourquoi on dit que la pâte feuilletée est difficile. Je la trouve facile, moi ». Peut-être... mais ce chef a indéniablement un rapport privilégié avec la pâte, comme en témoigne toutes ses spécialités: pâte à chou (d'où la pomme dauphine), tourtes, tartes et tout ce qui est feuilletage (d'où le millefeuille). Sa tourte de pomme de terre, servie en accompagnement quand la pomme dauphine le fatigue un peu, est absolument splendide. Et tellement simple. Des pommes de terre en fines tranches, enfermées dans un feuilletage de maître avec un peu de beurre et de crème, et cuites au four. Tout simplement.
Il est aussi un rare chef dont les plats sont encore meilleurs que les entrées... La plupart des cuisiniers réussissent bien les entrées. D'abord le client a faim. Alors tout est bon. Ensuite, l'entrée est libre. Nul besoin d'appliquer le triangle d'or de la cuisine française : protéine, légume, féculent.
C'est sur le plat principal que l'on se casse souvent les dents. Le client qui a moins faim est plus exigeant. Il faut une viande ou un poisson, et au minimum un légume, en proportions harmonieuses. Qui dit protéine dit cuisson. Et en France, il est obligatoirement agrémenté d'une sauce ou d'un condiment.
Cuissons, sauces et condiments
Or dans ce restaurant qui affiche invariablement complet, où il n'y a que la patronne qui assure le service avec un(e) employé(e), ça court tous les midis et soirs. La cuisine se fait discrète, cachée derrière un comptoir où une imposante rangée de bouteilles barre la vue, mais on la devine petite. Pourtant les cuissons sont toujours au poil près. Les jus et sauces sont parfaitement savoureux, réduits et onctueux pour certains, liquides et aromatiques pour d'autres. Et les condiments, rafraichissants, fruités, épicés, bien pensés.
Plat simplement grillé ou rôti, comme le filet de bœuf au poivre de Phu Quoc avec sa sauce tartare lie de vin, ou le pigeon dont la cuisson merveilleusement succulente a intrigué plus d'un. Plats mijotés, en cocotte ou vapeur, comme la blanquette de veau, exécutée dans les règles de l'art; le lièvre à la royale, d'un classicisme assumé, la fierté du quartier; la saucisse briochée, généreuse, juteuse, fondante et croustillante tout à la fois. Tout le répertoire de la cuisine française est représenté ici, sans se donner d'airs, avec un dressage minimal, dans une vaisselle pragmatique.
Avec parfois de petits clins d'œil aux racines de Madame, comme dans le ris de veau sauce rocou et citron vert vietnamien.
Desserts de cuisinier...qui pâtisse
Quant aux desserts... Ce ne sont ni des desserts de pâtissier, ni vraiment des desserts de cuisinier car souvent construits sur une base pâtissière. Biscuit de savoie, tartes de toutes sortes, crèmes, coulis, confitures, fruits et bien sûr le chocolat ! Et évidemment ce millefeuille dont on ne se lasse pas, avec sa crème diplomate gourmande mais légère, sucrée comme il faut et subtilement parfumée au rhum. Sans chichi, sans aller chercher midi à quatorze heures, il est tout simplement fait main et minute. Feuilletage abaissé à la main, sans le moindre laminoir, cuit sans plaque, lui laissant la liberté de gonfler à sa guise. Montage minute, avec force de crème. C'est pour cela que le dessert s'écroule toujours plus ou moins, car il n'y a rien pour la tenir, cette crème : ni gelée ni fécule cachée.
Bien manger et bien boire
En bon Bourguignon, le Mazenay propose une carte de vins très bien étoffée et l'on est surpris en apprenant qu'elle porte la signature de la patronne. La sélection est judicieuse ; Lan a du goût et sait exactement ce qu'il faut proposer. Pas d'accords convolutifs ici, on prend un verre, une carafe ou une bouteille.
Et la caractéristique du lieu est d'avoir une des meilleures sélections de chartreuses de la ville - toutes au même prix, quelle que soit leur rareté, dont certaines, plus confidentielles, ne sont pas forcément visibles sur la carte !
Menu du jour
Un déjeuner somme toute banal au Mazenay... Où le plaisir règne suprême, où l'on vient non pas pour parler affaires mais pour se régaler en prenant son temps. Où l'on peut aussi arriver pressé... et repartir heureux.
Succulentes asperges blanches cuites à la perfection, ni trop croquantes ni molles, juteuses et douces. Crème crue légèrement citronnée, parfumée à l'élixir de chartreuse.
« Moins sucré que la liqueur et se prête mieux à la cuisine, dit le chef. En bourguignon, on appelle "taqué" la pâte mal cuite. Là, j'ai fait une sorte d'anneau de pâte à foccacia taquée, pour qu'elle ait plus de tenue, pour renfermer les asperges juste blanchies. Je finis de les cuire comme ça. »
« Je me souviens des jours de rôti chez mes parents – poulet, rosbif, rôti de veau –, on adorait manger la salade avec le jus. Tout le monde le faisait. »
Plat principal un peu végétarien (il y a tout de même le guanciale et le jus de rôti !) que l'on ne commanderait pas spontanément (sauf si vous adorez la salade cuite...). Mais il faut se laisser persuader car c'est absolument exquis. La sucrine est coupée en deux et snackée à la plancha, puis cuite au four quelques minutes avec une rondelle de citron en-dessous. Elle est servie sur des légumes – carotte, chou-fleur, navet – avec le jus du rôti de bœuf du jour additionné de vinaigre de vin italien et d'huile d'olive. Cela donne un plat à la fois très frais et végétal, élégant avec le gras salé du guanciale, extrêmement gourmand avec l'épaisseur de la sucrine, doucement croquante, juteuse de sucs de viande, judicieusement caramélisée par la plancha.
La côte de veau est simplement cuite à la perfection et accompagnée d'un jus à la citronnelle et au rocou, infusion de feuille de citron, parfumé au citron vert. Une note subtile de beaux jours, de vacances en Asie, de soleil et de mousson. Délicieux mariage d'un produit classique de la cuisine française, le veau, et d'arômes lointains mais familiers. Il faisait gris ce jour-là et ce plat a illuminé les visages, les faisant sourire de satisfaction.
Le biscuit de Savoie est léger, aussi aérien qu'un nuage qui croustille, immédiatement friable sous la dent. La crème diplomate est celle du millefeuille de la maison, celle-là même qui étonne car tellement bonne ! Que l'on en reste émerveillé longtemps après. Sur le biscuit, une fine couche de marmelade de rhubarbe apporte une autre acidité bienveillante. Les fraises quant à elles sont trempées dans un curaçao blanc sucré, agrémenté d'huile d'olive, et ce jus sert de sauce au dessert. Un dessert aussi gracieux qu'il est bon, rouge comme un cœur, fragile et délicat comme un ravissant printemps.
Menu déjeuner entrée+plat ou plat+dessert à 25€; entrée+plat+dessert à 30€.
Diner à la carte, avec les pommes dauphine ou tourte de pomme de terre en supplément.