Le Congrès du dorayaki à Tokyo
Depuis quelques années, un mystérieux comité composé de membres secrets se réunit à Tokyo pour débattre des meilleurs dorayaki de la capitale.
Texte par un Amateur Anonyme de Dorayaki, traduit du japonais par Chihiro Masui.
Note : le dorayaki est une pâtisserie japonaise composée de deux « crêpes » levées d’une épaisseur de 7 à 10 millimètres, ressemblant à un pancake, superposées comme un sandwich avec de l’anko, la pâte sucrée de haricots azuki, au centre.
Ces dernières années, les dorayaki ont connu une explosion de popularité. Il n’est pas rare de voir des queues interminables devant les boutiques de renom, dont les pâtisseries sont en rupture avant midi. À chaque évènement qui a lieu à Tokyo, des dorayaki de tout le Japon convergent à la capitale. Depuis le XXIe siècle, le dorayaki est devenu tout autant un phénomène pâtissier que sociétal.
Devant ce phénomène, un comité secret a été créé sous le nom « Congrès du dorayaki à Tokyo ». Le nombre et les noms des membres sont tenus secrets. Connaisseurs inégalés des pâtisseries japonaises et occidentales, ces membres recherchent et dégustent quotidiennement des dorayaki de qualité supérieure sans s’inquiéter de la quantité de sucre qu’ils pourraient ingurgiter.
Les critères d'évaluation sont basés sur les termes culinaires français “cuisson", "assaisonnement" et "produit", l'accent étant mis sur la "constance de la qualité". L'évaluation suprême par les membres du Congrès est l’"intronisation au panthéon du dorayaki". Parmi les maisons de dorayaki, aussi nombreuses que les étoiles dans le ciel, seules trois d'entre elles ont reçu cette distinction.
Actuellement, la géopolitique du dorayaki tokyoïte divise la ville en deux camps. Celui du Lapin d’Ueno et celui de la Tortue d’Asakusa. La Tortue, personnifiée par la maison Kamé-ju (“dix tortues”) a perdu ses archives pendant la guerre et ne sait pas quand exactement la maison fut fondée. Ce serait vers la fin de l’ère Taïsho, probablement dans les années 1920. Malgré cette ancienneté ainsi qu’un attachement proclamé à la tradition avec ses dorayaki faits à la main et un rendu irrégulier qui est la signature de la maison, Kamé-ju fabrique non seulement des dorayaki à l’anko blanc (pâte de haricots blancs) mais possède des points de vente autres que ses boutiques, comme dans les grands magasins. Autant d’écarts de la pure tradition du dorayaki. Le Congrès juge que les dorayaki de Kamé-ju sont destinés aux débutants dans l’art de déguster le dorayaki et ne peuvent faire l’objet d’une intronisation.
A contrario, la maison Usagi-ya (“maison du lapin”), fondée en 1913, règne en maîtresse absolue sur le monde du dorayaki à Tokyo en vendant ses dorayaki parfaitement traditionnels fourrés à l’anko noir, exclusivement dans ses boutiques.
Il existe trois magasins Usagi-ya dans les quartiers d’Ueno, Nihonbashi et Asagaya, gérés indépendamment mais par les membres d’une même famille.
« Veuillez les déguster dans la journée » nous dit-on chez Usagi-ya. Les dorayaki sont fraîchement cuits et ne se conservent qu'une journée. La cuisson dorée est parfaitement homogène, donnant au dorayaki une peau sublimement bronzée. Les « crêpes », un parfait mariage de pancake et de castella (pâtisserie japonaise) sont un peu plus larges que la moyenne.
La caractéristique la plus remarquable est la présence de petites bulles dans la pâte que l’on ne voit qu’à la coupe. Elles lui confèrent une texture différente de celle des autres maisons de dorayaki. Il y avait là un secret que nous avons découvert.
Étonnamment, la cuisson des « crêpes » est effectuée non pas par un artisan expérimenté, mais par une machine inédite conçue par la maison. La chaleur étant appliqué simultanément par le bas et par le haut, nul besoin de retourner la « crêpe ». C’est ainsi que se forment ces fameuses bulles qui donnent cette texture si particulière, car elles ne sont pas écrasées lors de la cuisson.
L’anko, la pâte de haricots azuki, est déposé manuellement entre deux « crêpes » par des artisans qualifiés.
Contrairement au koshi-an (anko lisse), le tsubu-an (anko avec des morceaux de haricot) n’exige pas un tamisage de la pâte, ce qui explique sa longue histoire dans la pâtisserie japonaise. Je suis un adepte du koshi-an, mais j'aime aussi cette pâte avec ses grains de haricots légèrement écrasés. Les gens du Kansai (ouest du Japon, la région de Kyoto, Osaka, Nara) préfèrent le koshi-an, et accusent le tsubu-an d’être rustique et provincial, manquant de sophistication. Mais le tsubu-an ici est un pur produit d’Edo (ancien nom de Tokyo) et il est excellent. J’ai entendu dire que cet anko repose une nuit après cuisson. Serait-ce parce que l’anko est fatigué après avoir été brutalement et longuement mélangé ?
Tous les jours, environ 5000 dorayaki sont ainsi confectionnés à la main par des artisans qui mettent cette pâte en sandwich entre deux « crêpes ». On peut se demander s’ils n’en rêvent pas la nuit… La raison pour laquelle les dorayaki de la maison Usagi-ya sont tellement meilleurs que ceux des autres se trouve dans le ratio d’air et d’eau contenus dans l’anko et dans les « crêpes », contrôlé par la pression de la main de l’artisan, exactement comme pour un sushi de maître.
La texture du dorayaki est si différente de celle des autres pâtisseries que je peux aisément reconnaître un dorayaki d’Usagi-ya à l’aveugle, rien qu’en le tenant dans la main.
On peut voir une certaine ironie dans cette œuvre magistrale qui est le fruit du mariage entre la machine et la main de l’homme. Une technique inventée par une institution héritière de la grande tradition du dorayaki. On dit que les Occidentaux n'aiment pas l’anko, la pâte de haricots azuki, mais j’aimerais que vous essayiez une fois ce « sushi » de la pâtisserie japonaise.
Parmi les innombrables maisons de dorayaki à Tokyo, les trois plus populaires sont Usagi-ya, Kamé-ju et Kuromatsu Honpô Sôgetsu. Sur ces trois maisons, deux ont été intronisées par le Congrès : Usagi-ya et Kuromatsu Konpô Sôgetsu. Une troisième intronisée est Yoshiya. Les autres maisons respectables sont Ishida-ya, Seijuken et Toki-ya.
Le prix moyen d’un dorayaki est de 1€ à 2€.
Liste des grandes maisons de dorayaki à Tokyo.
Usagi-ya (intronisée par le Congrès)
Kamé-ju
Kuromatsu Honpô Sôgetsu (intronisée par le Congrès)
Yoshiya (intronisée par le Congrès)
Ishida-ya
Seijuken
Toki-ya