Chakaiseki Akiyoshi - Un déjeuner omakasé
La suite de Chakaiseki Akiyoshi, avec mon deuxième déjeuner, cette fois omakasé carte blanche du chef. Détails de tout le menu et mes sincères conclusions.
La suite de Chakaiseki Akiyoshi, avec mon deuxième déjeuner, cette fois omakasé carte blanche du chef. Détails de tout le menu et mes sincères conclusions.
Un déjeuner chez Akiyoshi
Nous avons opté pour l'accord thés japonais, qui commence par un verre de gyokuro froid. Il est bon, sans non plus susciter l'enthousiasme. Je n'aime pas beaucoup le thé glacé, quel qu'il soit, sauf quand il fait vraiment chaud. C'est probablement une question de goût personnel.
Mukôzuké ou entrées
L'asperge verte de Sylvain Erhardt, croquante et juteuse. Le navet japonais quant à lui vient de chez Asafumi Yamashita, le maraicher japonais qui ne distribue sa toute petite production de légumes qu'à des clients triés sur le volet. "Comment avez-vous fait pour les avoir? " demandai-je au chef. Tout à fait conscient de cette chance exceptionnelle car le monsieur se ferait couper en quatre plutôt que de vendre ses navets à d'illustres inconnus, il me répondit "Je l'ai rencontré au Japon lors d'un évènement où j'ai cuisiné, et quand je suis venu à Paris, il me l'a proposé".
La sauce est une hollandaise additionnée de miso blanc de Kyoto, très doux, de la maison Yamari Shoten, travaillé au saké. Une très légère acidité, une sucrosité délicate, un crémeux riche mais peu gras. Le plat est fini par un peu de zeste de cédrat. L'entrée en matière est des plus fraîches et agréables tout en dégageant un certain air de gourmandise. Nous ne sommes pas dans la légendaire fadeur et finesse japonaises, mais plutôt dans la non moins légendaire gourmandise des habitants de l'île de Kyushu dont le chef est originaire.
La sériole est juste saisie en surface au charbon, entaillée pour faciliter la dégustation et coiffée d'un daikon râpé à l'onioroshi . Il y a différentes râpes pour râper le daikon au Japon. L'onioroshi est une râpe grossière pour quand l'on veut un résultat qui laisse un peu du croquant du légume. Caché derrière le poisson, un peu d'épinard blanchi. Le tout recouvert d'un simple ponzu.
Wan ou soupe claire
J'ai absolument adoré ce plat. Le somen est le vermicelle japonais. Plus tendre, plus blanc et plus fragile que le capellini italien. C'est une nouille adorable mais difficile. Ici, elle flotte dans un dashi classique de kombu et de katsuobushi (bonite séchée râpée), fini au poulet haché comme un consommé. Cela lui donne un umami très riche et complexe, d'algue, de poisson et de volaille, tout en restant parfaitement limpide, sans aucune graisse.
L'absence de gras dans le bouillon est compensée par le tempura de l'huître Gillardeau n°0. Frite entière et servie immédiatement, elle s'avère légèrement difficile à croquer, d'autant plus que le bouillon est également brûlant. Mais c'est ce qui fait à la fois son charme et son goût. En Asie, la nouille se mange très très chaude, la soupe aussi, et la friture idem ! Les Occidentaux ont toujours du mal avec cette chaleur qu'ils jugent excessive mais à Rome faisons comme les Romains ou au Japon, faisons comme au Japon (même à Paris).
Brûlez-vous s'il le faut mais ne laissez pas cette soupe refroidir. Ces vermicelles n'attendent pas, le tempura non plus. Celui-ci se délite légèrement dans le liquide, alternant en bouche entre le spongieux imbibé de soupe et le croquant de la friture.
Unagi ou anguille
L'anguille est en shira-yaki, c'est-à-dire nature, grillée sans être laquée. Ici, elle n'est pas tout à fait nature, mais assaisonnée avec finesse, sans être aussi détrempée dans le laquage sucré-salé que lors d'une préparation en kabayaki, le plat d'anguille le plus connu. Accompagné d'asperge blanche grillée, wasabi frais et sel.
L'anguille est à manger avec le wasabi, le sel, et en la trempant dans le vinaigre vieilli trois ans, aneth émincé.
La peau de l'anguille est croquante, bien grillée. Sauvage, son gras est fin et délicat.
L'asperge blanche est également signée Sylvain Erhardt mais la pleine saison n'est probablement pas encore arrivée. Ce plat d'anguille dont le gras est contrebalancé par la croquant juteux de l'asperge est simple, de la simplicité typique d'un repas kaiseki, et délicieux.
Saké "jour jour"
À ce stade, les thés n'ont plus suffi. Nous avons demandé un saké, choisi par le chef. Il nous servit un saké bio de la maison Nichi Nichi de Hyôgo, dont l'eau douce donne des sakés très fins voire trop légers pour certains. Mais celui-là nous allait très bien. Il était très délicat et moderne, plutôt désaltérant.
Sushi pressé
Le sushi pressé de maquereau mariné, légèrement grillé ou saisi à la flamme, et servi en "sandwich" dans une feuille de nori, semble être très à la mode depuis quelques années. Je le vois partout. Ici, le maquereau n'est que très légèrement mariné au sel. Cela lui permet de ne pas avoir ce goût poissonneux que ce type de sushi présente souvent, exacerbé par la flamme que le chef lui applique diligemment devant nos yeux.
Comme un flambage au guéridon, c'est toujours un peu spectaculaire. Le riz est très peu vinaigré et additionné de sésame. Je l'aurais peut-être préféré un peu plus vinaigré. Le nori est intentionnellement très fin et peu parfumé, et se brise sèchement sous la dent.
Rien à redire sur ce sushi très bien exécuté, dont le côté poissonneux, trop souvent accentué par la flamme, est résolument maîtrisé. Mais je ne le trouve pas indispensable dans ce menu. Peut-être suis-je tout simplement blasée par ce plat aujourd'hui galvaudé qui me semble plus spectaculaire que réellement excellent.
Chawanmushi ou flan salé
Le chawanmushi est une sorte de flan salé, cuit dans une tasse à la vapeur. De l'œuf, additionné de dashi pour le rendre extrêmement tremblotant, presque liquide. La texture est parfaite. Deux belles pièces de pinces de crabe royal sont cachées sous le lit de cresson. Elles viennent de chez Petrossian. C'est bon mais un peu statique, si j'ose dire. Nous attendons le jour où le chef aura pris ses marques avec des fournisseurs de crabe frais pas forcément royal (ou autre chose).
Niébana ou riz qui devient riz
Le niébana désigne un produit que l'on mange au sommet de l'ébullition. Dans le cas du riz, le niébana est le moment précis quand il se transforme du riz (komé, la céréale) en riz (gohan, le mets). À ce moment-là, il n'est encore qu'al dente car il n'a pas encore fini de cuire à la chaleur résiduelle en réabsorbant sa vapeur. On déguste alors l'éphémère parfait, que nous aimons tant dans la culture japonaise. Concrètement il s'agit d'un certain aqueux au début, une sucrosité qui s'ouvre et se développe au fur et à mesure que l'on mâche le cœur encore légèrement dur du grain.
Le riz finit de cuire devant nous dans un "pot à cuire le riz"et servi immédiatement par le chef – car ce moment est l'histoire d'une fraction de seconde.
Kômono ou mets de parfums
Les tsukémono, ces petits légumes marinés et légèrement fermentés qui accompagnent toujours le riz comme le beurre, le pain, sont bien évidemment faits maison.
Deuxième service de riz
Le chef nous sert le deuxième service du riz, qui cette fois, est complètement cuit. Les grains ont fini de se gonfler de vapeur et sont joliment nacrés.
Le saumon salé est un produit très familial, acheté salé et grillé à la maison, toujours servi avec du riz blanc. Comme un fromage avec du pain, pour reprendre l'exemple. Il est très bon, avec un salage très juste, et pour un Japonais, il revêt un air de nostalgie, de tables familiales, de diners simples qui se terminent avec un ochazuké, du thé vert versé sur le riz et moitié bu moitié mangé à même le bol. Vous l'aurez vu dans les manga.
Troisième service de riz
Après ce plat, pour laver le palais, le chef a servi la deuxième soupe, celle que l'on sert à la fin, au miso. Elle était très bonne, au miso blanc et rouge, avec un tempura de tofu de butternut formé au kuzu, et de l'algue aosa, qui ressemble à l'aonori. Rien à voir avec le tofu de soja, il est appelé "tofu" uniquement pour sa forme rectangulaire. Un plat souvent préparé en goma-dofu ou tofu de sésame.
Cette soupe était très bonne mais j'ai oublié de prendre la photo...
Le troisième service du riz. Nous commençons à nous sentir sérieusement pleins...mais arrive le wagyu en yakiniku.
Le wagyu vient de la ferme Furano, à Hokkaido. Il est tout simplement acheté chez Kioko. C'est étonnant car il est tellement meilleur ainsi que les wagyu plus rares ... mais voilà, c'est en yakiniku. Cela lui sied bien. Mariné, laqué, sucré et salé, il est délicieusement caramélisé, coupé en tranches ni trop fines ni trop épaisses, pour mettre en valeur la jutosité du gras. Celui-ci n'écœure pas grâce à l'assaisonnement. Le meilleur moyen d'apprécier le wagyu.
La poutargue du confinement
Le chef nous demande si nous avons encore de la place... et nous sert sa poutargue, qu'il a fait au Japon pendant le confinement et apporté avec lui en France. L'ouverture du restaurant avait été décidée en 2019 mais tomba pile sur le premier confinement. Le bail courant déjà, le chef fut obligé de travailler dans un restaurant de ramen en attendant de pouvoir venir à Paris. C'est à ce moment-là qu'il fit sa poutargue, dont il est assez fier.
Honnêtement, je ne l'appellerais pas "poutargue" car elle est très différente de la poutargue telle que nous la connaissons, qu'elle soit japonaise, française, grecque ou taïwanaise (ce sont celles que je connais mais il y en a sans doute plein d'autres). Elle se rapproche plus d'un tarako grillé, œufs de mulet salés et légèrement séchés, grillés à la maison. En réalité, c'est plus rare et plus appréciable qu'une poutargue... râpant agréablement sur la langue et sur le palais, son sel est doux, et se marie bien avec le riz.
Sakura ou cerisier
Ah ! C'est la saison des cerisiers, et du sakura-mochi. Une douceur faite de riz gluant, fourré d'anko, la pâte d'azuki sucrée, enveloppée dans une feuille de cerisier saumurée. Celle-ci donne à ce gâteau son parfum caractéristique, signe du printemps et du passage du temps. Le cerisier est le symbole de l'éphémère de ce monde...et c'est pour cela que nous l'aimons au point que sa floraison, très courte, fait la une des journaux tous les ans.
C'est très à la mode au Japon où depuis quelques décennies il y a deux saisons pour la fraise: l'été et l'hiver. Alors tous les gâteaux sont aux fraises, à commencer par les daifuku. J'ai toujours trouvé que le juteux de la fraise ne se mariait pas avec le farineux de l'anko et le gluant de la pâte ou du riz. Mais je dois être la seule au Japon.
Le gâteau est accompagné d'un très très bon matcha, assez neutre et suffisamment liquide pour ne pas être bourratif en cette fin de repas. À l'origine, le kaiseki était un repas léger pour ne pas avoir un ventre totalement vide avant de boire le matcha...
Pour conclure...
Alors, cela vaut-il le prix ? Aujourd'hui, peut-être pas encore, car il subsiste trop de maladresses, comme le site de réservation ou les menus mal définis. J'ai parlé tout au début de cet article de l'okami-san, sur laquelle tous les avis, pour l'heure très divergents, sont unanimes. L'okami désigne la patronne (on ajoute un "san" pour être poli), Madame Akiyoshi, qui accueille les clients d'un sourire agréable, un charmant français, et une posture parfaite de dame japonaise vêtue d'un kimono classique. Le lieu est plaisant, très japonais dans son épure, avec de beaux poteaux en bois de hinoki précieux.
Quant à la cuisine... car après tout, c'est ce que l'on paie, n'est-ce pas? Yuichiro Akiyoshi possède manifestement la technique nécessaire pour exécuter une parfaite cuisine kaiseki. Mais ici nous sommes en France, terre lointaine, et la technique ne suffit pas. Lui-même parle volontiers du besoin de tisser des liens avec les producteurs et les fournisseurs, notamment des produits de la mer, les plus difficiles. Il écume les marchés, fait des tests tout en travaillant du matin au soir mais il lui faudra du temps pour trouver ses marques, maîtriser ces produits encore inconnus, trouver non pas des équivalences, qui ne seront jamais que des deuxièmes choix, mais des différences qui seront meilleures – car appartenant au terroir, avec la fraîcheur et la vitalité de la proximité.
Mais je reste convaincue que ce jour viendra. Très vite, si j'en crois le potentiel déjà présent.