Des boulettes en brochette et un gâteau de petits pois
Deuxième partie du menu wagashi de Manabu
Pendant les vacances, Hélène étant partie dans ses montagnes verdoyantes, Yumi perdant des litres d'eau sous les chaleurs nipponnes avec sa famille, vous recevrez uniquement des mails Spoon of Paris de ma part via Substack.
Voici donc (enfin!) la deuxième moitié du menu wagashi de Manabu Shiraishi. Désolée, je l’avais un peu oublié…
Dans les prochains jours, je vous ferai part de mes impressions sur Sushi Yoshinaga, et vous enverrai une histoire de sushi, algues et ikéjimé, en petits bouts car elle est un peu longue. Et, si je vais dans d’autres restaurants intéressants, je vous en parlerai aussi, tant qu’à faire.
Merci à vous pour votre lecture. N’hésitez pas à me faire un retour.
Chihiro Masui
Le menu wagashi de Manabu
(La première partie publiée le 30 mai à retrouver ici →).
Connaissez-vous le wagashi? En un mot, la pâtisserie japonaise. On la dit souvent ennuyeuse et fade. Alors tout un menu de haricots azuki et riz gluant...?
Deuxième partie.
La saison de la fraise au Japon
Depuis bientôt vingt ans, il y a deux saisons de la fraise au Japon. L’été et l’hiver. L’été, quand les meilleurs producteurs disent que la fraise, baignée de soleil, est très parfumée ; l’hiver, quand elles sont élevées hors-sol, sous serre. Alors elles sont très sucrées, douces et juteuses mais n’ont absolument aucun parfum. Pour nous en Europe qui sommes habitués à tenir compte de la saisonnalité des produits, les vitrines des pâtisseries japonaises en plein mois de décembre qui étalent fièrement leurs “strawberry shortcake” (fraisier japonais, très moelleux, avec crème fouettée et beaucoup de fraises) nous semblent bizarres, presque scandaleuses.
Ce gâteau est aujourd’hui emblématique de Noël, une fête qui n’a aucun caractère religieux au Japon. Le 25 décembre n’est pas férié, mais il est devenu une occasion de fête pour les enfants et les amoureux (les réservations d’hôtel explosent le 24 décembre, et ce ne sont pas des familles car les love-hotels affichent aussi complet).
Une mode mièvre
Depuis vingt ans, c’est aussi la mode du daïfuku à la fraise, notamment en hiver car la texture “mochi-esque” gluante, collante et réconfortante sied mieux à l’hiver qu’à l’été où tout ce que nous voulons, c’est manger aussi liquide, glissant et frais que possible.
J’ai toujours détesté le côté mièvre du mochi à la fraise - avec sa pâte souvent teintée en rose couleur sakura - symbole plutôt de l’alimentation artificielle, totalement contrôlée par l’homme (d’une main de maître, il faut le dire) plutôt que de la nature et du terroir. Et je n’ai jamais trouvé très bon l’accord de la fraise sucrée et très juteuse, avec la texture du mochi - qui colle. Une substance qui vous colle au palais et une autre totalement liquide, comme de l’eau, ensemble dans votre bouche… Cela vous semble-t-il agréable?
Un daïfuku contre toute attente
Alors j’ai blémi quand j’ai vu Manabu préparer un daifuku à la fraise, ce gâteau qui symbolise tout ce que je n’aime pas dans le Japon d’aujourd’hui, qui accepte l’artifice les bras ouverts. Mais, n’ayant pas le choix - et nous étions en pleine saison de la fraise -, je l’ai mangée.
Ah! Quelle surprise! Pour la première fois de ma vie, ce daïfuku m’a conquise. D’abord, il est d’une taille parfaite, moins gros que d’habitude. Je mords dedans…
…et trouve en son sein une fraise, française. C’est-à-dire de saison, probablement bretonne, un peu sucrée mais surtout très parfumée. Si la fraise japonaise était Blanche-Neige (molle, passive, pâle), sa cousine française serait une Carmen (forte en couleurs, rebelle, libre).
La fraise est recouverte d’une très fine enveloppe de shiro-an (anko blanc) dont la sucrosité dense et pesante équilibre et enferme à merveille l’acidité juteuse de la fraise. Le gyûhi qui est une pâte de farine de riz gluant, est extrêmement délicat, fondant et finement gluant. Suffisamment d’épaisseur (1 mm?) pour donner en bouche une textère très légèrement élastique et absolument jouissive.
Manabu nous a préparé une surprise… Le mitarashi-dango !
Le goût de mon enfance
Le mitarashi-dango est une pâtisserie populaire qui se vendait autrefois aux coins des rues par des marchands ambulants. Ce sont de simples dango (boulettes), faits d’un mélange de farine de riz gluant et de farine de riz, bouillis, mis en brochette et grillés sur le feu. Pour finir, on les nappe d’une sauce à base de sauce soja, sucre et épaississant.
C’est un gâteau très simple mais qu’on ne fait que rarement chez soi, et c’est une des douceurs japonaises que j’aime le plus. Mes amis japonais s’en étonnent car ils n’imaginent pas adorer un mets si simple et modeste.
Enfant, j’en achetais au marché à Nara avec ma grand-mère. Une barquette qui fermait mal avec seulement un élastique qu’il fallait ramener à la maison en la tenant bien horizontalement pour que la sauce ne coule pas dans le bus. C’était ma barquette à moi, avec cinq brochettes, chacune garnie de cinq boulettes. Je mangeais les deux premières puis je remettais l’élastique pour garder les autres, que je réchaufferais au micro-onde plus tard. Mes grands-parents n’y touchaient pas. D’abord c’était à moi. Et puis, je pense qu’ils avaient un peu de mal avec leurs dentiers (à l’époque, ça ne tenait pas bien…).
Manabu savait que le mitarashi-dango occupe une place favorite dans mon cœur. Bien que ce ne soit pas un gâteau digne de son niveau, il a voulu me faire la surprise. C’était exquis. Avec cette sauce de sauce soja et de sucre épaissie à la fécule, qui est limpide et claire comme une gelée tiède; la boulette que l’on croque, bien que le terme soit inappropriée, car elle colle aux dents et ne se casse pas. On l’emmène en bouche à moitié coupée par les dents et on la mâche avec la délectation réservée à cette texture très collante, délicatement croquante par endroits où le feu l’a noircie.
Salé, sucré, collant, fumé. On en a plein la bouche mais c’est tellement bon !
De larges nouilles dans une soupe claire et froide
Le prochain plat était peut-être mon préféré du jour. Du kuzukiri, dans un dashi de kombu très simple, et des algues vertes. Le kuzukiri est fait de farine du rhizôme du kuzu, un gélifiant et épaississant onéreux réservé à la grande cuisine. Il donne une gelée très fine, presque rebondissante mais loin de la texture peu subtile de la gélatine. Kuzu-kiri car la plaque de kuzu est coupée en fines bandelettes. On peut la manger salée ou sucrée, mais il y a une douceur typique qui est le kuzukiri au kuro-mitsu (miel noir) qui n’est autre qu’un sirop épais de sucre muscovado.
Mais aujourd’hui, Manabu a préféré nous servir le kuzukiri salé. Infiniment peu salé car il y avait sans doute une petite pincée de sel dans le dashi de kombu extrait à froid. Et la salinité naturelle de l’algue verte, qui présente de fines fibres que l’on sent sur la langue, même si celles-ci sont tellement douces qu’elles fondent à la première pression de la dent, laissant uniquement un léger parfum iodé.
Une fin tout en vert
Pour finir, un omogashi (gâteau “principal, aussi dit “cru” car n’ayant pas subi de cuisson finale. Généralement servi lors de la cérémonie de thé), il est ici fait de hisui-an (anko de jade) de petits pois, recouvert d’une fine enveloppe de kuzu, avec quelques gouttes de kuromitsu pour lui donner la sucrosité et le côté un peu rôti, un peu miel cuit.
C’est extrêmement bon, épais, pesant sur la langue, sucré, avec un vrai goût de petits pois frais et leur parfum frais et vert du printemps. Nous avons la chance incroyable ici d’avoir des gâteaux faits minute, ce qui n’arrive absolument jamais. Mis à part le plaisir de voir l’adresse et la technicité du pâtissier et la confection en live des plats, la fraicheur est incomparable. Comme au comptoir de sushi, version sucrée.
Un matcha pour accompagner l’omogashi et clore le repas. Joliment mousseux dans les règles de l’art. La température de l’eau est parfaitement maîtrisée. On n’a ni l’amertume qui vient avec une eau trop chaude, ni la fadeur d’une eau trop tiède. Le matcha se mâche presque; ce n’est pas une boisson désaltérante mais un nectar épais qui donne du peps, avec sa caféine et son goût de feuilles très vertes.
Manabu Shiraishi est aujourd’hui chef pâtissier chez Chakaiseki Akiyoshi.