Au Bon Vingt
Cette semaine, rendez-vous dans une cave du vingtième arrondissement de Paris. Un lieu dont on voudrait garder le nom secret...
Cette semaine, rendez-vous dans une cave du vingtième arrondissement de Paris. Un lieu dont on voudrait garder le nom secret...
Il est de ces cavistes dont on aurait presque envie de garder le nom secret tant on est heureux de les connaître et de les avoir dans son quartier. Puis on s’aperçoit que non seulement les habitués sont légion, alors qu’on pensait faire partie des heureux élus, mais aussi que les nouveaux venus sont nombreux et réguliers.
« Au Bon Vingt », créée et tenue par Agnès Baracco, seule aux manettes, fait partie de ces rares caves, tant on a plaisir à y retourner, à discuter, à se laisser guider, à découvrir et surtout à prendre plaisir à la dégustation.
Une reconversion réussie
Agnès a ouvert son magasin en mai 2010. Avant cela, elle exerçait en tant que juriste en droit immobilier. Là où le secteur a perdu une représentante, le monde du vin nature a gagné une de ses plus ferventes ambassadrices.
Le chemin semblait pourtant tout tracé. Sa grand-mère, puis sa mère, tenaient déjà une cave en Saône-et-Loire nommée « Au bon vin ». Sachant que son grand-père s’appelait Monsieur Bon et qu’Agnès a ouvert sa boutique dans le vingtième arrondissement de Paris, on appréciera le clin d’oeil et le jeu de mot. Son grand-père, justement, élevait du vin. Ce dernier ne faisait pas des vins conventionnels au sens d’aujourd’hui, mais « traditionnels », c’est-à-dire sans avoir recours aux nombreuses béquilles modernes utilisant la chimie dans l’élevage du vin. C’est ainsi qu’Agnès a pu se former le palais. Mais pas seulement. En effet, avant même de se reconvertir, elle faisait déjà beaucoup de salons des vins et allait à la rencontre des vignerons. Chose qu’elle continue désormais, comme le témoigne ses nombreux carnets de prises de note de dégustation, en salon ou au chai.
La boutique propose majoritairement des vins natures produits en France, pas spécialement par choix, mais tout simplement par manque de place. On y découvrira aussi une sélection de bières indigènes, d’eaux de vie ou de whiskys français. La gamme proposée se veut de plus en plus locale et correspond toujours à un choix assumé.
Mais place à la dégustation.
Domaine Santamaria, Patrimonio blanc 2021
Situé à Oletta, ce domaine familial désormais certifié en bio et tendant vers la biodynamie propose une gamme de vins tout à fait cohérente tant en blanc qu’en rouge. J’ai découvert ce Patrimonio blanc pur vermentinu sur les conseils d’Agnès et depuis il est devenu une référence incontournable pour moi.
Sa robe est brillante, lumineuse, d’un doré un peu clair. Le vin est cependant assez perlant, mais ce perlant partira rapidement durant la dégustation. Un carafage rapide pourra cependant aider les plus pressés.
Le nez est très beau, évoquant la pêche et les fleurs blanches. C’est citronné mais avec un petit côté fumé, pas forcément réduit. Il laisse la promesse d’un vin avec de la matière et l’idée de raisins récoltés à parfaite maturité.
Au premier abord, la bouche présente un peu de gras, contrebalancé par juste ce qu’il faut d’acidité et de tension. On retrouve ces arômes de pêche, de fleurs blanches présents au nez, avec quelque chose des fruits exotiques. Le vin reste longtemps en bouche, on peut apprécier le très bel équilibre entre fraîcheur, tension et maturité du raisin. C’est un vin délicieux à boire pour lui-même, mais qui s’accordera aussi à merveille avec plein de plats différents, pas forcément que méditerranéens. Pour ma part j’ai expérimenté des accords intéressants avec des plats à base de boutargue.
Domaine du Haut-Planty, cuvée « One way ticket » 2021
Traversons maintenant une bonne partie de la France pour nous diriger vers Nantes et ses environs. A nouveau, j’ai découvert ce vin à l’étiquette énigmatique grâce Au bon vingt. Ce domaine également entièrement familial a été créé dans les années 60 par Michel Couillaud et est désormais géré par ses fils Alain et Christian qui conjuguent dans leurs vins « un respect pour la tradition et un esprit novateur ». En appellation vin de France, il s’agit d’un vin à base de melon de Bourgogne cépage typique des vins du Muscadet. La contre-étiquette précise que le vin a été élevé 2 ans en fût, sans soufre ajouté.
Sa robe présente un beau doré, un peu sombre, ambré, chose relativement inhabituelle pour ce cépage. Au nez on a une impression de maturité, de rondeur, presque de gras. Est-ce lié aux 2 ans d’élevage en fût ? En tout cas on pressent de la complexité. On croit percevoir également quelque chose rappelant la pomme cuite ainsi qu’une légère touche de chaleur, liée à l’alcool, impression fausse puisque le vin titre à 12,5 % d’alcool.
En bouche, l’attaque est plutôt vive, en léger décalage avec ce que la robe et le nez laissaient présager. L’équilibre est intéressant, entre une acidité maîtrisée, une pointe d’amertume évoquant le pamplemousse, et de la rondeur. Le tout conjugué à nouveau à cette sensation de pomme cuite. La longueur en bouche est tout à fait correcte, avec une légère salinité qui reste en fin de bouche.
A coup sûr, il s’agit d’un melon de Bourgogne, pour ne pas dire un Muscadet, qui peut dérouter car il met le curseur de la dégustation à un endroit inhabituel pour ce type de vins. C’est riche, rond, avec un élevage en fûts assumé et réussi. À découvrir.
Mont de Marie, Salve Ager 2020
Traversons à nouveau la France pour nous rendre entre Nîmes et Montpellier, à Souvignargues pour être plus précis. Thierry Forestier y a créé son domaine en 2004. A l’instar d’Agnès, il a exercé dans un tout autre secteur, l’informatique, avant de se lancer dans l’aventure du vin. Venant d’une famille de paysans, la chose pouvait sembler aller de soi, et pourtant les débuts n’ont pas forcément été faciles, Thierry démarrant de rien. Désormais, son domaine de 12 hectares composé pour grande partie de vieilles vignes cultivées en biodynamie est devenu une référence pour nombre d’amateurs à la recherche de vins sains, frais et gourmands.
Je connaissais déjà cette cuvée, mais le millésime 2020 dépasse toutes mes espérances. La robe est très, très claire, très belle, entre le rubis, la fraise et l’orange sanguine. Un côté grenadine d’enfance. Je suis sûr qu’à l’aveugle je serais parti sur un poulsard du Jura. Pas du tout : la cuvée est constituée d’une majorité de grenache avec un peu de cinsault. On est loin de certains grenaches opaques et bodybuildés…
Le nez est enchanteur, une petite merveille. Beaucoup de fruit, de fraîcheur, sur la fraise et les épices douces, c’est équilibré et promet d’être digeste.
La bouche est tout aussi enchanteresse. L’équilibre est flagrant, l’acidité parfaitement maîtrisée, avec une légère amertume en fin de bouche, c’est très pur, frais, fin et gourmand à souhait. Bref, ça se boit tout seul. Pour un vin vinifié sans intrants ni sulfites, non filtré, je mets au défi quiconque de lui trouver le moindre défaut ! Ce délicieux nectar peut s’apprécier pour lui-même mais accompagnera aisément de nombreux plats, de l’apéritif jusqu’au plat principal, tant il est savoureux et offre des facettes multiples.
Ajoutons à cela que, pour une fois, je trouve qu’on ne sent réellement pas les 14 % d’alcool et que le rapport qualité-prix semble venir d’un autre temps, tant il est incroyable.
Comme vous l’aurez compris, j’apprécie véritablement non seulement le choix proposé par Agnès Baracco, mais aussi sa faculté à proposer le bon vin au bon client, ce qui n’est malheureusement pas donné à tout le monde et qui relève d’une véritable expérience et d’un souci de faire découvrir et de faire plaisir. On ne peut que saluer la démarche. Notons à ce sujet qu’Au bon vingt propose potentiellement les vins nature au meilleur rapport qualité-prix de Paris, avec des marges très raisonnables, et assumées par Agnès qui, encore plus dans ces temps difficiles pour nombre de personnes, cherche avant tout à partager sa passion en la rendant accessible au plus grand nombre. La clientèle ne s’y trompe pas. Chapeau bas.