Accords mets et vins au restaurant Le Clarence
Trois accords sur un menu du chef Christophe Pelé. Par Ikatoro.
Il est de ces restaurants dont, lorsque vous en sortez pour la première fois, vous savez d’emblée que vous y retournerez. Vous commencez même à compter les jours tellement votre repas vous a semblé comme une évidence. Depuis deux ans je n’ai cessé de retourner au Clarence, restaurant parisien dirigé par le chef Christophe Pelé, dès que j’en avais la possibilité, toujours excité, jamais lassé, tellement l’expérience est prenante, la cuisine ébouriffante, étonnante et gourmande, l’accueil aux petits soins.
La carte des vins n’est pas en reste, loin de là, et propose une très large sélection de vins du domaine Clarence Dillon et de toute la France, avec autant de grands noms que de domaines plus confidentiels, pour toutes les bourses.
En ce mois d’avril 2023, c’est accompagné par trois amis limougeauds de passage à Paris, tous amateurs de vin, que je me rends de nouveau au Clarence. Nous décidons de donner un budget maximum au sommelier pour l’ensemble des boissons en lui demandant de nous proposer trois vins en bouteille. La requête est d’autant plus difficile pour le sommelier que Christophe Pelé est connu pour proposer des plats suivant l’envie et l’humeur du jour, que parfois le personnel de salle découvre en même temps que le client !
Tessa Laroche – Le Berceau des fées 2020
Commençons le repas avec un vin dont j’ai déjà parlé : la cuvée Le Berceau des fées de Tessa Laroche, un chenin sec de Loire en appellation vin de France. Cette cuvée, issue de jeunes vignes de Savennières, m’a toujours séduit et ce millésime ne fait pas exception. Cette fois-ci il s’agit du 2020. La robe est brillante, limpide, d’un beau doré qui attire l’œil. Le nez révèle un parfait équilibre et beaucoup de séduction, entre la minéralité, la rondeur, la maturité, les fruits jaunes, la pomme ou la poire. On retrouve tout cela en bouche, avec une très légère amertume parfaitement bienvenue. C’est élégant et très gourmand. Je ne sais si c’est le fait que le vin a une année de plus ou si cela tient au millésime, mais je le trouve encore plus abouti que le millésime 2021 que j’avais goûté auparavant.
Parmi les plats sur lesquels nous dégustons ce vin, l’accord se révèle particulièrement judicieux sur le « maquereau mariné, crème de burrata, fraises blanches, algues nori ». L’acidité très maîtrisée du vin contrebalance le gras du maquereau et de la crème de burrata, sa minéralité proposant un contrepoint intéressant à l’algue nori. Idem sur le « maquereau grillé, barba di frate, lard de Colonnata, oseille, condiment orange » : l’acide et le gras, le chaud et le froid, le côté salin des barba di frate, tout semble se répondre malicieusement dans un dialogue serré.
Zéroïne - Arbois blanc L20JuSa
Sous ce nom surprenant se cache le vin d’un domaine créé par Maylis Bernard qui n’est autre que la compagne de Jean-François Ganevat, producteur jurassien bien connu des amateurs. Il s’agit d’un savagnin ouillé, en provenance de la parcelle des Bodines, pressurage direct, élevage en foudre pendant deux ans.
Disons-le d’emblée : le vin ne fait pas consensus autour de la table. La robe est claire, un peu trouble, pâle. Le nez est assez réduit, avec un côté... poulailler. La bouche également est réduite, avec une grosse acidité. Effectivement, ce n’est pas sans me rappeler certains vins blancs du compagnon de cette dame. Le tout est tranchant, mais manque un peu de plaisir, de rondeur, de gourmandise au premier abord. Il y a quelque chose de levuré, de pomme, de cidre.
Vous l’aurez compris, je fais partie de la moitié dubitative de la table. Certains aiment ce vin pour lui-même, d’autres misent tout sur l’accord avec les plats. Je me situe dans un entre-deux. La balance penche cependant légèrement en faveur du vin lorsqu’on nous sert un « saint-pierre, sardine, fleur de moutarde, jus de piment ». Le saint-pierre est cuit, la sardine crue. Le côté un peu foufou du vin s’assagit devant la combinaison d’iode, de gras, d’acidité et de piquant du plat tout en équilibre. L’« asperge blanche en tempura et prune uméboshi » propose aussi un répondant intéressant, la légère amertume de l’asperge se mariant à celle du vin, alors que le côté légèrement gras de la tempura est assagi par l’acidité du vin, le tout se rejoignant dans l’acidité fruité de la prune uméboshi.
Enfin l’« huître pochée, saucisse figatellu, choucroute de pomme de terre, sabayon au vin jaune » propose trois nouveaux contrastes intéressants : l’iode de l’huître versus la minéralité du vin. Le côté épicé de la saucisse figatellu répond au petit piquant parfois présent dans les savagnins ouillés un peu jeunes. Pour finir, le sabayon au vin jaune offre un mariage de raison pertinent puisque le sabayon et le vin ont ceci en commun : le cépage, à savoir le savagnin.
Version sous-voile dans la sauce, version ouillée dans la bouteille. Un contraste toujours intéressant et qui fonctionne ici.
Finalement, je dirais que ceux qui étaient convaincus par ce vin à l’ouverture ont été confortés dans leur opinion, et ceux qui ne l’étaient pas ont su se laisser convaincre lors de l’accord avec les plats.
Ludovic Engelvin - Cru-Elles 2018
Terminons avec le vin qui m’aura peut-être le plus emballé parmi ces trois propositions. Non seulement l’ai-je trouvé excellent pour lui-même, mais il s’est aussi parfaitement accordé avec la fin de notre repas, et enfin il m’a en quelque sorte réconcilié avec un domaine que je connaissais peu.
J’avais rencontré ce producteur installé dans le Languedoc lors d’une dégustation professionnelle il y a quelques années. J’avais aimé notre échange, mais j’étais en fin de dégustation, il faisait chaud, y compris pour les vins, et j’étais un peu passé à côté.
Il en est tout autrement ici. Comme le précise le site internet du domaine, « le vignoble est travaillé dans le respect du vivant ». Et cela se sent tout de suite. Pour le meilleur. Cette cuvée en 2018 est apparemment constituée d’une majorité de cinsault, avec un peu de grenache. Mais si j’ai bien compris, les assemblages peuvent varier suivant les millésimes. Il semble même, puisque je l’ai eu au téléphone depuis, que Ludovic Engelvin partage avec moi cet intérêt pour le cinsault et cherche à mettre en avant ce cépage un peu mal connu.
La robe de ce 2018 est d’un beau rubis clair, lumineux. Le nez s’avère d’une complexité réjouissante : acidité, épices, olive, herbes séchées. Le tout semble très frais, loin de certains vins de cette région qui peuvent sembler un peu déséquilibrés, chauds ou confits dans les années chaudes comme 2018. J’ai l’impression de ressentir une pointe d’acidité volatile, pas franchement dérangeante, même si tout le monde ne partage pas mon avis autour de la table.
À déguster pour lui-même, le vin est un peu raide, pour ne pas dire rêche. On retrouve l’acidité, les épices et l’olive noire du nez, avec des tannins un poil asséchants, durs ou même métalliques.
Mais on nous avait annoncé de l’agneau pour terminer la partie salée du repas et spontanément je me dis que l’accord sera parfait. Et c’est le cas avec la première assiette qui nous est proposée autour de cette viande, le chef aimant à multiplier les plats autour d’un ingrédient central, le « coffre d'agneau de lait des Pyrénées, encre de seiche, petits pois, arête de sardine en tempura, pâte de citron ». La viande, par sa tendreté et son gras subtil, assagissent le vin. En retour le vin, par son acidité, rend la viande très digeste et propose une très belle complémentarité avec un jus de viande assez réduit et corsé. Un convive à table parle de pinot noir. Même si je ne partage pas totalement ce point de vue, je comprends l’analogie tant le vin propose un bel équilibre entre acidité, fruit, digestibilité et longueur.
Alors que les avis étaient à nouveau un peu divisés à la dégustation seule, l’unanimité est faite s’agissant de l’accord avec les plats d’agneau.
Je ne peux m’empêcher d’évoquer ce qui sera peut-être pour moi le temps fort du repas, tant il est de ces moments où le plaisir paraît si simple à approcher. Le dernier plat fut la panoufle d’agneau, servie directement dans la poêle pour l’ensemble des convives, comme à la maison, sans chichis, accompagnée de roquette, d’olives, de parmesan et d’un jus réduit. À picorer entre amis. L’alliance avec le vin, combinée à ce sentiment de convivialité autour d’un plat parfait dans la simplicité de son exécution, me restera longtemps en mémoire. Une parenthèse hors du temps.